Dans leur ouvrage à paraître mardi 5 avril, Pour en finir avec les dealers, le maire écologiste de Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon, et un policier à la
retraite, Serge Supersac, plaident pour la légalisation du cannabis, pointant l'échec de la politique de prohibition et de répression menée en France. Ils sont rejoints sur ce point
par Daniel Vaillant, député-maire PS du XVIIIe arrondissement de Paris, ancien ministre de l'Intérieur du gouvernement Jospin, qui publiera mi-mai le rapport d'un groupe de travail à
l'Assemblée, visant à ouvrir le débat entre les candidats à l'élection présidentielle. Terra Nova republie dans ce cadre une note de mai 2010 défendant la nécessité d'un nouveau
paradigme en matière de politique du cannabis.
Synthèse :
La politique menée actuellement en France en matière de lutte contre le cannabis est un échec. Quarante ans d’inflation répressive continue de la part de gouvernements de gauche comme
de droite et plusieurs campagnes menées sur le thème de la « tolérance zéro » dans la « guerre aux drogues » n’ont pas suffi à en endiguer la consommation. La France reste en tête des
pays européens en matière de consommation de cannabis, et cette dernière est en augmentation constante. On dénombre aujourd’hui près de 4 millions d’usagers de cannabis, dont 550 000
usagers quotidiens. Face aux échecs flagrants de la politique menée, il est temps de pacifier notre législation et nos politiques publiques pour envisager un nouveau paradigme de
réduction des risques liés aux usages de drogues.
Le cadre législatif entourant le cannabis est devenu si répressif que l’essentiel des mesures prévues depuis 2007 porte sur l’application de la loi (automaticité des sanctions,
fichage des usagers, peine planchers…), avec un coût considérable pour la collectivité. Certains rapports évaluent en effet le coût moyen d’une interpellation liée aux stupéfiants à
3300 euros, établissant le coût annuel total des interpellations à 3 milliards d’euros. Si ces chiffres doivent être pris avec précaution, on peut néanmoins estimer qu’une politique
pacifiée permettrait de libérer de précieux moyens de sécurité.
Par ailleurs, une étude approfondie des chiffres des interpellations et des condamnations pénales fait apparaître une réalité contraire aux discours martiaux sur les « trafics » :
entre 2002 et 2008, les peines pour usage ont doublé, alors que les condamnations pour trafic ont baissé. Les interpellations pour stupéfiants concernent dans 90% des cas les usagers
de cannabis. La politique du chiffre imposée par le gouvernement se traduit par une répression inutile, en partie responsable d’un climat délétère entre populations et forces de
l’ordre, et amputant ces dernières de précieux moyens qui pourraient être consacrés à d’autres missions. L’usage de cannabis, qui devrait faire l’objet d’une politique pertinente de
prévention, d’information et de soin, est aujourd’hui le cœur de cible d’une politique du chiffre inefficace.
Cette politique ignore la complexité des multiples domaines concernés par le fléau du trafic illicite de drogues. En effet, une lutte efficace en la matière est peu compatible avec la
politique du chiffre, tant elle demande une analyse fine des réseaux concernés par les trafics de drogues et un temps d’investigation long. Ici encore, la stratégie sécuritaire, dont
les responsables brandissent l’intenable promesse d’une « guerre aux drogues », conduit à l’impasse. Pour illustrer cet échec, il suffit de noter que le prix des drogues est
continuellement en baisse depuis 1991, les producteurs ayant réussi à s’adapter pour amonceler toujours plus de profits et de moyens d’influence.
Les insécurités sont nombreuses, les ressentis à fleur de peau. Nous devons nous engager pleinement dans une stratégie de changement de paradigme et de pratiques, notamment
sécuritaires. Il s’agit donc de savoir penser et faire avec le cannabis en fonction de la réalité des risques pour les usagers, mais aussi en fonction des risques liés à l’action
publique elle-même. Le mot d’ordre doit redevenir « savoir plus – risquer moins ».
Note :
Le débat sur la politique du cannabis a été récemment relancé par Daniel Vaillant. L'ancien ministre de l'Intérieur, aujourd'hui député maire du XVIIIe arrondissement de Paris, a
obtenu auprès du groupe socialiste de l'Assemblée nationale l'ouverture d'un groupe de travail sur le sujet. Cette réflexion s'inscrit dans une révision plus globale des politiques
publiques, qui a notamment lieu aux États-Unis (1), au Portugal (2), aux Pays-Bas (3) ou en République Tchèque (4). L'hebdomadaire anglais The Economist consacrait au sujet
un dossier complet au printemps dernier.
Pourtant, de nombreuses voix de gauche s'inquiètent en considérant que le simple fait de rouvrir ce débat pourrait avoir des conséquences très dommageables dans l'opinion. Les
socialistes restent traumatisés par la campagne présidentielle de 2002 sur laquelle les commentateurs s'accordent à dire qu'ils furent en partie défaits sur le terrain de la sécurité.
D'où la crainte que des positions visant à « dépénaliser », « légaliser » ou « décriminaliser » la consommation de cette drogue ne soient instrumentalisées par la droite dans un
procès en irresponsabilité.